RUBRIQUE : Ça peut toujours servir Méthode Alinsky… Quèsaco ?

Rubrique : Ça peut toujours servir
Méthode Alinsky… Quèsaco ?


Aux AMFiS d’été des Insoumis, fin août à Marseille, le nom d’Alinsky était dans toutes les bouches ou presque, et au cœur de trois ateliers de formation. Les médias s’en sont fait l’écho, en disant que c’était la nouvelle stratégie du mouvement pour « reconquérir les quartiers populaires ». Mais au fait, c’est quoi exactement la méthode Alinsky ? Petit topo pour celles et ceux qui ont l’impression d’avoir raté un épisode.

Alinsky, c’est qui ?

Saul Alinsky était un travailleur social des quartiers pauvres de Chicago. A partir de 1939, il fonde et développe le community organizing (organisation des communautés). En 1940, il crée l’Industrial Areas Fondation, un organisme dont le but est d’aider des groupes communautaires à s’organiser. Il y travaille pendant trente ans et sillonne les Etats-Unis. Les revendications des groupes qu’il appuie sont diverses : rénovation de taudis insalubres, amélioration des conditions d’enseignement, ouverture des embauches aux Noirs… Pragmatique, il estime que les gens ne se mobilisent pas pour de grands principes, mais contre des problèmes qui les touchent personnellement, et qu’il faut donc partir de là. Régulièrement déclaré « ennemi n°1 » par la presse et des responsables politiques, il est emprisonné en 1944, par mesure de précaution, dans le Middle-West où il voulait implanter une « organisation du peuple ». Plusieurs organismes de formation ont été créés pour enseigner ses méthodes à des générations d’animateurs sociaux.

A quoi ça sert ?

Le but d’Alinsky était de permettre aux pauvres de reconquérir du pouvoir, de s’organiser et de faire émerger des leaders locaux. Chaque petite victoire devait donner au groupe plus d’assurance, et le conduire à viser des objectifs plus ambitieux. Pour cela, peu importait le sujet et la stratégie utilisée, pourvu qu’elle soit efficace !

Comment ça marche ?
Telle qu’il a été pratiqué par Alinsky et ses successeurs, le community organizing s’appuie sur des animateurs de terrain qui se fondent dans une communauté (1) et « l’organisent » littéralement, jusqu’à ce qu’elle puisse gérer ses revendications de façon autonome. Par exemple, en 1971, la NCO, une organisation de Chicago qui appliquait la méthode Alinsky, travaillait avec trois ou quatre salariés et une vingtaine de bénévoles qui quadrillaient un quartier de 150 000 à 200 000 habitants (2). Les animateurs passaient leurs journées et une partie de leurs nuits à discuter des problèmes avec les habitants, organiser des actions avec eux, et gérer la préparation logistique de ces actions. La NCO était soutenue par 220 associations locales (religieuses, civiques, culturelles, ethniques etc.) qui mettaient à disposition des moyens (bus pour transporter les gens sur des actions) et relayaient les appels à mobilisation. Dans sa forme originelle, la méthode Alinsky demande donc, a minima, un gros investissement humain.

Les grands principes

- Identifier un problème. L’animateur, en discutant avec les habitants, va découvrir un problème commun, qui met en jeu suffisamment d’intérêts individuels pour être porté collectivement. Le problème choisi doit être un « bon cas », non douteux, dont la légitimité ne pourra être contestée par les adversaires.

- Identifier les responsables.  Pour aboutir, l’action doit viser une personne, une entreprise ou une institution précise qui a le pouvoir de répondre à la revendication.
- Définir une revendication raisonnable. Pour gagner, la communauté doit exiger quelque chose que l’adversaire est en mesure de lui donner. Les revendications trop générales ne seront pas satisfaites à court terme.

- Mettre l’adversaire dans l’embarras. Emmener les victimes d’un vendeur de sommeil indélicat manifester dans le quartier huppé où il habite (voire devant chez ses parents) pour que son voisinage fasse pression. Brandir des pancartes devant la boutique de l’entreprise. Menacer d’occuper toutes les toilettes d’un aéroport à l’heure de pointe… Alinsky et les animateurs qui ont pris sa suite n’étaient jamais à cours d’imagination pour obliger l’adversaire d’une communauté à négocier.

- Accepter le compromis. Une fois que l’adversaire accepte de négocier, mieux vaut une victoire partielle qu’un échec : c’est toujours ça de pris.

- Fêter la victoire. Les réjouissances qui suivent chaque petite réussite donnent envie de continuer : si on a obtenu ça à 20, qu’est-ce qu’on pourrait réussir si on était 50 ?

Et aussi…
- Surprendre l’adversaire. Ne pas agir là où il vous attend, inventer de nouvelles manières de lui mettre la pression, jouer sur l’humour : le ridicule est ce que craignent le plus les responsables locaux.

- Ne pas avoir peur du conflit.
- Faire de l’action une fête. Veiller à son intensité pour que les gens y prennent goût. Eviter par exemple les situations démobilisantes où on est censé faire nombre, longtemps, devant une institution : au fur et à mesure de l’attente le groupe s’étiole, c’est décourageant pour ceux qui restent, et le pouvoir se dit, à raison, que le temps joue en sa faveur.

Et surtout…
Choisir ses problèmes, ses revendications et ses concurrents de façon à obtenir la victoire. Parfois, certaines défaites sont si démoralisantes qu’elles coupent court à toute volonté collective. Mieux vaut donc garder les revendications les plus difficiles pour plus tard, si le groupe n’est pas prêt. Alinsky allait jusqu’à « mettre sur pied un combat gagné d’avance » pour que les gens reprennent confiance en leur pouvoir !

Comment s’en inspirer ici et maintenant ?

 
Active à Grenoble et Aubervilliers, l’association Alliance citoyenne a été fondée par trois personnes inspirées par les méthodes d’Alinsky et formées à Londres. Elle cherche à adapter cette forme d’organisation de la société civile au contexte français.

« Entre septembre 2010 et juillet 2012, les trois organisateurs de l’association rencontrent 600 leaders des quartiers de l’agglomération grenobloise et accompagnent des campagnes citoyennes sur la baisse des charges dans les HLM, l’accueil des étrangers ou les horaires de travail des femmes de ménage, indique le site internet de l’association. Un groupe de leaders issus de groupes variés (congolais, pastorale des jeunes, centre culturel musulman, église évangélique, association de quartier) émergent pour préfigurer ce qui deviendra en décembre 2012, l’Alliance Citoyenne. »

Cinq personnes travaillent aujourd’hui pour l’association qui a reçu des financements de fondations, d’associations et de la Région. L’Alliance citoyenne propose des prestations et des formations au community organizing, ce qui devrait lui permettre de développer des ressources propres.

Hors d’un cadre associatif où interviennent des animateurs professionnels qui ont le temps de s’immerger dans un quartier, la méthode Alinsky peut-elle être un outil efficace pour les militants bénévoles ? Si vous avez des éléments de réponse, n’hésitez pas à les partager !

Pour en savoir plus
- Pour une première approche : L’art de la guérilla sociale comprend le reportage d’un Français engagé comme bénévole à Chicago dans les années 70, des extraits du manuel rédigé par Alinsky, Rules for radicals, et un entretien avec le sociologue Julien Talpin, spécialiste du community organizing. Fakir éditions, 2016, 7 euros

- Radicaux, réveillez-vous ! : traduction du manuel de Saul Alinsky, Le Passager clandestin, 2017, 15 euros

- Le site d’Alliance citoyenne : https://alliancecitoyenne.org

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